Aquarium
du Trocadéro
J’avais
10 ans. Et j’allais souvent à l’aquarium. J’aimais cet endroit.
Ses grandes verrières, ses poissons électriques, ses hippocampes
et ses marsouins. J’ai appris par le journal que les poissons
étaient tous morts brutalement, un soir d’hiver. J’ai longtemps
pensé qu’il s’était agi d’un assassinat. J’en ai même rêvé.
Souvent. Je voyais une ombre passer devant les grands
bassins vitrés et jeter dans l’eau du poison. Du poison pour
les poissons. Mon psychanaliste aurait adoré. J’y suis retourné
dix ans plus tard.
L’endroit
était évidemment à l’abandon. L’entrée avait été murée mais
des junkies avait ménagé une ouverture. Les salles obscures,
où filtrait encore une lumière flottante et où les fils électriques
arrachés ressemblaient à des algues, s’était transformée en
salle de shoot. J’ai fait une photo de la voute en pensant
aux anémones de mer. Les seringues avaient remplacé les oursins,
les dealers, les requins. Quand je suis sorti, une réception
organisée à la cinémathèque toute proche, en l’honneur d’un
vieil acteur américain, rassemblait tout le gratin. J’ai observé
longuement ces « personnalités » déguisées en pingouins.
Baudouin Eschapasse |